FLORENCE ANDOKA

FLEURIR LES CREUX

au sujet de Nuque et ritounelle

Découper, déchirer, arracher, collecter ce qui a été capté dans le flux des images. Le regard, la main, l’oreille prélèvent des fragments de réel qui seront le matériau de gestes à venir. Cette première étape dévoile l’un des principes de l’œuvre toute entière : la césure. Ce qui est conservé pour se déployer est le plus souvent ce que l’artiste a soustrait à un ensemble. Pour opérer, il faut avoir le sens du devenir, croire aux possibles de l’univers. « La nuit c’est exactement comme » les œuvres de Pascale Lhomme, les liens entre les choses alentour se tissent autrement, dans l’obscurité qui tranche, ne reste que ce que l’esprit réinvente, un monde neuf aux correspondances inédites. À la récolte, l’artiste ajoute d’autres mouvements, de vifs coups de pinceaux, de tampons qui se font récurrences abstraites, motif incertain qui se parodie lui-même dans ses métamorphoses. Les spirales deviennent des ronds, des points, des perforations, des virgules. Pascale Lhomme œuvre en série, en ritournelle, et l’œil s’attache à chaque collage comme à une variation. Malgré la continuité des couleurs et des formes, le passage entre deux collages, comme entre les éléments d’une même œuvre, opère par une succession de ruptures.

Entre les aplats au feutre, les mots, les motifs, les détails de photographies, de peintures, une certaine logique figurative, géométrique, symétrique s’égare au profit d’une autre, plus dissipée, plus chaotique, moins attendue et autrement narrative. Chaque suture est ainsi une perte féconde ouvrant le champ des possibles. L’œil qui observe sent sa langue se mouvoir et répondre.

« Ma chère petite Laure. Deux mots en vitesse pour te dire que j’ai vu Courtot » Il dit que ton travail avance. Un fragment de marbre bleuté mauve. Troué de lumière. J’ai hâte de voir ça. De passer le doigt sur les surfaces. Polies et hirsutes. Dissiper la colère. Rentrer à la maison.

Ce goût du peu transforme l’épure en multitude de pistes intérieures. Les phrases sont tronquées, les mots perdent consonnes inaugurales ou terminaisons, des néologismes fleurissent ça et là, « olère », « aison » « inconn. ». L’œil est tenté de refaire le chemin de la coupe pour se redéployer, se laisse porter d’une forme à une autre. « Comme on [n]ous parle », comme on vous parle. C’est la langue qui travaille, passe d’un support à l’autre, d’un corps à l’autre.

Partout il y a des trous, quelque chose perfore, perfore encore, meurt. Tout court vers le blanc qui emporte et baigne chaque poème visuel, comme une source lumineuse, désertique, un bain cosmique, amniotique, propice à l’éclatement de fulgurances électriques. Rien n’est triste, la perte est colorée, psychédélique. C’est le corps flou d’une femme à l’horizontal qui rappelle une main difforme se refermant, le ciel qui rougeoie, une parole brève que l’on garde au cœur, tout droit sortie des rayons d’une bibliothèque. Partout c’est « SUPER HABITER » les poussières du passé, Morisot par Manet, en noir et blanc, comme un petit souvenir du futur.